FOCUS sur : Delacote, P., Le Velly, G., & Simonet, G. (2022). Revisiting the location bias and additionality of REDD+ project. Resource and Energy Economics, 67, 101277. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.reseneeco.2021.101277
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Parmi les quelques avancées de la COP26 fin 2021, on trouve l’engagement, signé par plus de 140 pays, de faire cesser la déforestation tropicale d’ici à 2030.
La déforestation constitue en effet une cause majeure d’émissions de gaz à effet de serre, et la conservation des puits de carbone forestier semble incontournable pour l’atteinte de la neutralité carbone.
Si les objectifs sont clairs, les moyens pour y parvenir le sont toutefois moins. Comment protéger efficacement les forêts tropicales ? Parmi les options de conservation de ces écosystèmes, les projets REDD+ (pour réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts) prennent notamment la forme de paiements pour services écosystémiques, où l’on cherche à rétribuer les acteurs locaux pour que ceux-ci cessent leur déforestation.
Ces projets sont régulièrement financés par des mécanismes de compensation carbone : des entreprises privées souhaitant compenser une partie de leurs émissions de gaz à effet de serre achètent des crédits carbone issus de ces projets sur les marchés dits volontaires. Ainsi, la compensation carbone présente l’intérêt essentiel de mobiliser des fonds privés pour financer la transition écologique des secteurs agricoles et forestiers.
Compensation carbone, greenwashing ?
Un certain nombre de critiques s’élève fréquemment contre la compensation carbone. Assimilée à du greenwashing, on estime qu’elle permet aux entreprises polluantes de se donner bonne conscience et de communiquer sur la compensation, et d’éviter les efforts nécessaires à la baisse de leurs propres émissions.
L’additionnalité réelle des projets est en outre souvent questionnée : les projets financés doivent démontrer que, s’ils n’avaient pas été mis en place, les quantités de carbone émises auraient augmentées ou moins de carbone aurait été séquestré.
Dans le cas des projets de déforestation évitée, il convient de démontrer que le projet a effectivement contribué à réduire la déforestation, par rapport à un scénario de référence. Or les études d’impact des programmes de conservation forestière soulignent une très grande hétérogénéité de la capacité de ces projets à diminuer la déforestation.
Sylvain Chabé-Ferret
Des projets aux porteurs et aux objectifs variés
Dans une publication récente, nous cherchons à comprendre quelles peuvent être les sources de ces hétérogénéités.
Pour ce faire, nous partons d’un constat : les porteurs de projets de déforestation évitée sont de nature variée. Certains sont des ONG, d’autres des entreprises privées. On peut dès lors penser que des porteurs de projets de nature diverse ont des manières de procéder et de mises en œuvre divergentes ; ce qui peut conduire à des résultats différents en matière d’additionnalité.
Certains projets de déforestation évitée ciblent par ailleurs exclusivement un but environnemental (réduire la déforestation), alors que d’autres cherchent à combiner objectif environnemental et objectif de développement rural (par exemple, réduire la pauvreté ou améliorer la résilience des populations locales).
La certification des projets illustre bien ces différents desseins : un projet focalisé sur la déforestation évitée ne certifiera que les réductions d’émissions de gaz à effet de serre (certification par le label Verified Carbon Standard, le plus couramment utilisé), alors qu’un projet à objectif conjoint environnement-développement adoptera une double certification carbone et co-bénéfices (combinaison des labels VCS et Climate Community and Biodiversity).
Focus sur 6 projets en Amazonie brésilienne
En nous appuyant sur une base de données des projets REDD+, nous évaluons l’impact de 6 projets de déforestation évitée en Amazonie brésilienne.
Philippe Delacote, Gwenolé Le Velly, Gabriela Simonet (2021), Revisiting the location bias and additionality of REDD+ projects : the role of project proponents status and certification, Resource and Energy Economics
Afin de déterminer si un projet a effectivement permis de réduire la déforestation, nous devons constituer un groupe de contrôle, c’est-à-dire un groupe d’observations semblables à la situation du groupe traité (le projet) si celui-ci n’avait pas été traité. Pour ce faire, nous avons recours à une méthode de matching : pour chaque observation traitée par le projet, un algorithme recherche plusieurs observations similaires (3 ou 5) non traitées dans une zone géographique proche.
En appliquant ces méthodes, que trouvons-nous ? Premièrement, les projets qui présentent des objectifs conjoints de conservation forestière et de développement rural, notamment ceux portés par des ONGs, sont généralement situés dans des zones où les pressions à la déforestation sont élevées. Il s’agit en particulier de zones plus urbanisées ou proches des infrastructures routières.
Malgré cela, selon notre analyse, ils peinent à contrebalancer ces pressions, au moins à court terme, et à éviter la déforestation. Ce résultat tend à souligner une difficulté à combiner protection de l’environnement et développement.
À l’inverse, les seuls projets pour lesquels nous trouvons des preuves d’additionnalité ont été menés par des entreprises privées dont l’objectif se focalise uniquement sur la conservation des forêts mais qui sont localisés dans des zones où la pression à déforester semble plus faible.
La crédibilité de la certification carbone en question
Nous pouvons tirer deux enseignements de cette étude. Premièrement, si nous ne pouvons en aucun cas affirmer que certains types de porteurs sont systématiquement plus performants sur la base de six projets, les entreprises privées ne sont pas forcément moins efficaces que les ONG pour réduire la déforestation. Deuxièmement, il peut-être difficile de combiner conservation forestière et développement rural.
Au total, bien que notre analyse ne porte que sur un nombre restreint de projets, elle questionne fortement la crédibilité des mécanismes de certification carbone. Sur six projets certifiés, à même d’émettre et d’échanger des crédits carbone, un seul semble avoir donné lieu à des baisses d’émissions effectives.
Sans nécessairement remettre en question l’opportunité de la compensation carbone, nos résultats alertent donc contre un risque de « hot air », c’est-à-dire des crédits carbone qui ne correspondent à aucune réduction d’émission, et soulignent le besoin d’une évaluation plus rigoureuse des impacts.