Focus sur Ibanez, L., & Roussel, S. (2022). The impact of nature video exposure on pro-environmental behavior: An experimental investigation. PLoS ONE, 17/(1), e0275806.
doi: http://dx.doi.org/10.1371/journal.pone.0275806
Favoriser l’émergence de comportements pro-environnementaux chez les individus constitue un défi majeur sur la voie de la durabilité. Les motivations des individus pour agir dans l’intérêt de la planète sont très diverses et peuvent être propres aux individus ou stimulées par des facteurs externes ou sociaux . Il existe ainsi de multiples leviers pour stimuler ou renforcer les comportements pro-environnementaux afin d’internaliser des impacts sociétaux liés à la dégradation de l’environnement, comme par exemple l’utilisation excessive de ressources naturelles (
Il a été montré que, de manière globale, l’individu est sensible au contexte dans lequel il prend ses décisions (Thaler, 2018). Nous savons aussi que la nature influence directement et positivement à la fois notre état physique et psychologique, et qui plus est notre état émotionnel n’est pas neutre dans la lutte contre le réchauffement climatique . Par exemple, Wu et al. (2016) ont de la sorte montrée qu’en rendant les bâtiments technologiquement plus durables (dits « atmosphériques »), et en signalant ceci par le biais d’indices visuels qui donnent des informations sur l’utilisation de ressources naturelles (captage et épuration de l’eau, utilisation intensive du bois dans la construction du bâtiment, etc.), les individus seraient incités à mieux recycler leurs déchets.
Dans cet article, nous étudions l’impact potentiel d’une exposition virtuelle à la nature sur les comportements pro-environnementaux. En effet, les individus évoluent le plus souvent dans un environnement urbanisé et passent une grande partie de leur temps loin de la nature en raison de leurs activités professionnelles et personnelles. Tout cela contribue à une déconnexion physique et psychologique avec la nature et conduit à un manque de conscience écologique. Cette connexion virtuelle avec la nature pourrait donc stimuler le sentiment d’appartenance à la biosphère, et inciterait ces individus à être plus enclins à protéger l’environnement. Ceci constituerait donc une stratégie efficace et peu coûteuse.
L’expérience en laboratoire
Nous testons ce lien de causalité dans le cadre d’une expérience en laboratoire où les sujets regardent soit une vidéo présentant un environnement urbain (traitement de contrôle « urbain »), soit une vidéo présentant un environnement naturel (traitement « nature »). Nous considérons deux types de comportements pro-environnementaux : une décision monétaire, correspondant à un don auprès d’une organisation non gouvernementale pro-environnementale (ONG Environnementale), et à la suite, une décision non-monétaire, en l’occurrence un geste de recyclage des charlottes hygiéniques pour des écouteurs / casque audio (Figure 1).
Figure 1 : Synthèse du protocole expérimental
Précisons aussi que nous avons inclus dans le protocole expérimental une questionnaire pour éliciter l’attachement des participants à la nature via l’échelle New Ecological Paradigm (Schleyer-Lindenmann et al., 2016). Cette échelle permet de classer les individus en fonction de leur conscience écologique.
Enfin pour bien comprendre les mécanismes de ce phénomène, et comprendre l’impact de l’exposition virtuelle à la nature, nous avons intégré dans notre protocole expérimental deux vérifications de robustesse.
L’enjeu de la première vérification est de mieux cerner l’impact réel de l’environnement virtuel sur les sujets sans tenir compte des émotions ressenties. Pour ce faire nous avons réalisé la même expérience avec un nouveau groupe de participants (traitement contrôle – émotion positive ; N=60) où les sujets visionnaient un film sans aucune référence à la nature, mais générant le même type d’émotions. La seconde vérification de robustesse avait pour but de tester si la corrélation avec le film Nature et le champs d’action de l’ONG, pro-environnementale, influait sur le don. Ainsi, nous avons donc réalisé l’expérience avec un autre groupe d’individus (traitement contrôle – don ONGH ; N=49) où les participants visionnaient la vidéo sur la nature mais en proposant de faire un don à une ONG humanitaire n’opérant pas dans le domaine de la protection de l’environnement.
Résultats de l’expérience
L’analyse des réponses collectées lors de cette expérience démontre qu’une exposition virtuelle à la nature augmente à la fois le don monétaire (+ 0,83€, p=0,02) et l’éco-geste (+15%, p=0,11). Autrement dit, l’exposition à la nature agit à la fois sur la disposition à faire un effort financier, ainsi que sur la disposition à faire un effort physique en faveur de l’environnement.
Le résultat particulièrement intéressant de cette expérience est que l’accroissement de comportements pro-environnementaux provient principalement des individus qui déclarent au préalable avoir une conscience écologique relativement basse (NEP<4).
En effet, comme il est montré dans le tableau 1, nous observons que pour les individus avec une conscience écologique faible, la vision d’une vidéo sur la nature permet d’accroitre le don de 1,47€ en moyenne, et augmente le nombre de personnes qui recyclent les protèges casques de 26,53%
Un autre point à noter est que nous n’avons pas trouvé d’effets d’entraînement, négatifs ou positifs, entre le don monétaire et l’éco-geste.
Tableau 1 : Différence de comportement selon le niveau de conscience des participants
+Wilcoxon-Mann-Whitney teste l’équivalence de population, avec p<0,05 (**), p<0,01 (***)
Concernant les vérifications de robustesse de l’expérience, il apparait que pour un même type d’émotions ressenties, le don est significativement plus fort lorsque les sujets visionnent un film qui fait référence à la nature (+1.13€, p=0.01) et que quel que soit le champs d’action de l’ONG, le montant du don n’est pas significativement différent (-0.51€, p=0.89).
Conclusion :
Les résultats de cette expérience semblent démontrer qu’il existe un impact positif d’une exposition virtuelle à la nature sur les comportements pro-environnementaux. Ils peuvent donc donner lieu à de diverses implications politiques, notamment sur la mise en place d’interventions comportementales innovantes. En effet, le décideur public pourrait avoir recours à des solutions ludiques et facilement accessibles, s’apparentant à des coups de pouce (nudges verts), où l’individu serait exposé de manière répétée voire permanente à la nature (sur son lieu de vie ou de travail ). () () Ces solutions sont en général peu coûteuses, non contraignantes, et faciles à mettre en œuvre. De plus, ces politiques pourraient favoriser la prise de conscience des problématiques environnementales contemporaines liées au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité, et ainsi induire des changements de comportements durables.
[1] « Motivation intrinsèque, motivation extrinsèque » par Olamidé Sékumadé, Prium MT /))