Focus sur : Rocle, N., Rey-Valette, H., Bertrand, F., Becu, N., Long, N., Bazart, C., Vye, D., Meur-Ferec, C., Beck, E., Amalric, M., & Lautrédou-Audouy, N. (2020). Paving the way to coastal adaptation pathways: An interdisciplinary approach based on territorial archetypes. Environmental Science and Policy, 110, 34-45. doi: http://dx.doi.org/10.4000/vertigo.26537
Contexte et problématique
Lors de la loi climat et résilience votée en aout 2021, des innovations en matière de droit de l’urbanisme ont été prises pour préparer la recomposition spatiale des territoires exposés à la montée du niveau de la mer. Cette recomposition spatiale vise à « réduire la vulnérabilité des territoires littoraux en renforçant leur résilience. Elle s’inscrit dans une logique d’aménagement qui dépasse la relocalisation des enjeux et nécessite d’anticiper l’ensemble des évolutions climatiques. Elle implique une approche intégrée, progressive et adaptative» (SAVE, 2021[1]). L’accompagnement de ces politiques implique des recherches sur les trajectoires d’adaptation au Changement Climatique, c’est-à-dire l’articulation des mesures de politiques publiques en fonction des évolutions du contexte. Cette approche de gestion adaptative permet de faciliter à la fois la prise en compte des incertitudes et l’appropriation de ces mesures. L’objectif de l’article est de caractériser des types de trajectoires d’adaptation, en mettant l’accent sur leur caractère dynamique et adaptatif. Il résulte d’une réflexion pluridisciplinaire (géographes, économistes, sociologues, modélisateurs, géologues, océanographes, anthropologues, écologues et politistes) réalisée dans le cadre d’un groupe de travail national. Il s’agissait de mutualiser les résultats (i) de dix enquêtes quantitatives réalisées entre 2006 et 2017 auprès de plus de 5000 personnes et (II) de l’analyse d’une dizaine de dispositifs de gouvernance et d’accompagnement à l’adaptation.
La gestion adaptative implique de prendre en compte une diversité de dimensions de plus en plus large, intégrant notamment les conséquences sur les inégalités, les déterminants émotionnels et psychologiques des comportements, et l’adaptation des dispositifs de gouvernance et des outils de planification territoriale en privilégiant des solutions dites « fondées sur la nature , et des processus souples et participatifs favorisant l’anticipation, la réflexivité, la réactivité et les processus d’apprentissages. Soulignons que les processus d’adaptation varient selon le rythme et l’intensité du changement climatique[2] , selon la réactivité des mesures mises en œuvre. Plus généralement une approche ancrée sur les informations à disposition (grounded theory approach) est préconisée pour favoriser des allers et retours entre expérimentation et conceptualisation. L’analyse des expérimentation, l’intégration des savoirs locaux issus de dispositifs pilotes et l’essaimage des « bonnes pratiques » impliquent des tâtonnements et la mise en commun des retours d’expérience.
Définition d’archétypes de référence pour la France métropolitaine
La prise en compte des déterminants structurels pour un territoire ou un système donné a conduit à définir six archétypes de territoire, en fonction des contextes géo-morpho-sociologique, des différentiels de ressources et des capacités de gouvernance. Ils offrent ainsi une typologie des configurations spatiales urbaines et économiques que l’on peut retrouver sur les littoraux de France métropolitaine (figure 1). Néanmoins ils ne doivent pas induire un regard cloisonné car il existe de nombreuses interactions entre archétypes liées aux interactions interterritoriales.
Figure 1 : Description des archétypes de territoire de villes littorales avec des exemples illustratifs en France Métropolitaine (image : Nicolas BECU)
- Check-list des variables d’adaptation
La construction d’un cadre d’adaptation suppose d’analyser les leviers ou les inerties et résistances au changement L’originalité de l’approche proposée est de dépasser les variables axées sur les aléas et la géomorphologie en intégrant le rôle des dispositifs de gouvernance (à plusieurs échelles) à travers les dimensions économiques et institutionnelles généralement peu prises en compte.
Sept composantes sont identifiées (configuration spatiale, économie territoriale, caractéristiques sociodémographiques, gouvernance, trajectoire d’innovation, caractéristiques psychosociales et variables exogènes), pour lesquelles on distingue deux catégories de variables :
D’une part, les variables constitutives qui rendent compte des facteurs structurants : la configuration spatiale (type de côte, Importance des aléas comme l’érosion, la submersion, les inondations rétro-littorales), le type d’urbanisation (étalement, surface urbanisée, type et ancienneté de l’habitats), le profil socio démographique des habitants () et l’économie territoriale (ressources financières, secteurs économiques structurants, taux d’économie résidentielle, attractivité, réserves foncières).
D’autre part les variables de déclenchement (cf. tableau ci-dessous), correspondant à des variables socioéconomiques, qui conditionnent de façon interactive la mise en œuvre des mesures d’adaptation et orientent les profils de ces trajectoires.
Description des variables de déclenchement
Ce cadre générique a permis la formalisation de récits descriptifs et analytiques de trajectoires d’évolution propres aux archétypes étudiés. Sachant que selon les trajectoires toutes les variables ne sont pas opérantes, une analyse de l’occurrence et du rôle des variables selon les archétypes a été réalisée en distinguant des évolutions lentes ou rapides en fonction des manifestations du changement climatique, et notamment de l’occurrence et de l’importance des tempêtes et des dégâts observés. Trois constats apparaissent :
- le rôle important de certaines variables de déclenchement (Ressources financières des collectivités, Attractivité, Stratégie institutionnelle de gestion des risques, Évènement naturel déclencheur) ;
- un différentiel d’adaptation important entre trajectoires lentes et rapides, au profit des trajectoires lentes qui, en mobilisant plus de variables, offrent une marge de manœuvre supérieure. Ainsi les trajectoires lentes favorisent l’acceptabilité des mesures, la mise en place de dispositifs pilotes ou la coopération Science-Politique-Société. Elles permettent de renforcer les apprentissages et les capacités de changement, de réflexivité et de réactivité.
- le rôle déterminant voire déclencheur des évènements météorologiques souvent évoqués comme facteur de changement.
Plus généralement ce cadre d’analyse de l’adaptation illustre la diversité des facteurs et le rôle des dispositifs de gouvernance, mais aussi la diversité des trajectoires, avec des inégalités des capacités d’adaptation qui ne sont pas toujours proportionnelles au degré d’urbanisation. Ainsi, l’archétype « Grandes métropoles littorales » présente des trajectoires très contrastées (« métropole intelligente et résiliente » versus « métropole en faillite ») par rapport à l’archétype des « Petites et moyennes villes à dominante productive » qui présente des trajectoires plus homogènes, et aucune conduisant à l’effondrement (faillite). Les trajectoires dépendent aussi de la capacité des territoires à intervenir à différentes échelles de temps selon la fiscalité locale et les niveaux d’endettement, les politiques d’urbanisme, les solidarités territoriales, les ressources politique et l’ingénierie territoriale, les ressources psycho-sociales des habitants et les règlementations.
Soulignons que les variables d’adaptation relèvent de différentes échelles (gouvernance multi niveaux), notamment les réglementations et les assurances qui s’imposent aux décideurs locaux et qui orientent fortement les logiques d’adaptation et les responsabilités. Ainsi certains volets de la loi climat et résilience de 2021 introduisent une responsabilisation accrue des collectivités et des solidarités vis-à-vis des individus, pour lesquels le renforcement de l’information préventive pourrait déterminer les niveaux d’indemnisation ou de cotisation d’assurance, avec alors un risque d’accentuation des inégalités. Enfin, face aux injonctions récentes du GIEC sur le besoin d’accélérer les mesures d’adaptation en réponse à l’aggravation du changement climatique, il est nécessaire d’explorer de nouvelles pistes pour pallier la faiblesse des possibilités d’adaptation dans le cas des scénarios de montée du niveau de la mer les plus rapides
- Quelques perspectives pour les économistes et les sciences sociales
Dans un domaine où l’étude des variables constitutives relatives à la disponibilité de sédiments et à l’évolution du trait de côte sont dominantes, l’innovation majeure de cette approche porte sur la prise en compte des variables dites de déclenchement permettant d’appréhender les déterminants socioéconomiques et la capacité d’adaptation territoriale. La diversité et l’interactivité de ces variables de déclenchement nécessitent une approche pluridisciplinaire, s’inscrivant dans le champ des politiques d’aménagement et de la gouvernance territoriale. L’apport des économistes améliore le design des politiques d’adaptation et l’évaluation lors des arbitrages : par exemple la question de la valeur des biens dans un contexte d’incertitude sur leur durée de vie ou celle des dispositifs d’assurance. Il convient de s’inscrire non seulement dans le champ des politiques environnementales, mais d’aborder aussi le rôle de l’expertise, les modalités de participation et de délibération, avec l’enjeu de concilier la transition écologique et l’attention aux inégalités sociales et environnementales. Il s’agit de contribuer à l’analyse de la résilience en mettent l’accent l’accompagnement des changements qui renvoient pour les économistes aux questions de gouvernance, de légitimité et d’apprentissage social. Soulignons le caractère dynamique de l’approche qui implique de nouvelles modalisations et de nouveaux dispositifs et outils d’observation notamment concernant les effets croisés, les effets retards ou les effets en cascade.
[1] Elaboration d’un plan d’action régional et la mise en place d’une gouvernance de la gestion du trait de côte et de la recomposition spatiale. Rapport Final Plan Littoral 21, Consortium SAVE, Mars 2022, 75 p.
[2] Deux hypothèses sont retenues : 1) évolution lente (+ 1 mètre en 2100) avec quelques événements extrêmes ; 2) évolution rapide « raisonnable » (+ 1 mètre d’ici 2060 avec un plus grand nombre d’évènements extrêmes et des conséquences plus marquées.